Tania Willard parle en Secwepemctsín : Weyt'k, re skwest Tania Willard, st̓ek ke te Legwiké ne Secwepemcúl̓ecw.
Je voulais juste me présenter dans ma langue. Je m’appelle Tania Willard, je suis l’une des artistes de l’exposition et je suis heureuse de vous accueillir ici dans mon studio de Chase en Colombie-Britannique, qui se trouve sur le territoire de mon peuple, les Secwépemc. Je suis descendante des Secwépemc et de colons. J’ai grandi ici, à l’intérieur des terres, dans mon territoire traditionnel, à la frontière du territoire des nations Syilx, mais quelque peu déplacée de ma communauté d’origine pour diverses raisons. Mais mon père, lui, a vécu toute sa vie ici, dans la réserve de Neskonlith, et lorsque je suis revenue m’établir ici pour élever mes enfants, cela a marqué un changement de cap dans ma pratique artistique. Pour moi, le fait d’être ancrée dans mon territoire d’origine est une expérience très différente de celle d’être un visiteur non invité dans d’autres territoires autochtones et cela a donc marqué un tournant dans ma pratique. Je vis également dans une région assez rurale maintenant, et je m’intéresse donc beaucoup à ces idées de rattachement à la terre, de vie rurale et de travail saisonnier avec des matériaux tirés de la terre, bien que dans le cadre d’une pratique artistique contemporaine. Et cela s’étend aussi naturellement aux droits fonciers des autochtones, parce qu’en Colombie-Britannique, de nombreux territoires autochtones ne sont pas cédés et donc, à bien des égards, la Colombie-Britannique a été imposée au territoire autochtone, et nous ne reconnaissons pas son autorité. Ainsi, les droits fonciers autochtones et les droits fonciers Secwépemc ont pris beaucoup d’importance dans la façon dont je considère ma pratique artistique. Donc, lorsque je produis des œuvres sur ma terre, je considère cela comme une revendication territoriale.
L’œuvre présentée dans l’exposition de la Maison du Canada s’appelle Gut Instincts et fait référence à des photographies de ce que l’on appelle la « culture matérielle » dans le langage anthropologique, mais que nous appelons œuvres d’art ancestrales. C’est une image d’un panier – un très beau panier – en racines de cèdre de forme rectiligne. Et sur ce panier est imbriqué un motif, qui a été enregistré par un anthropologue comme étant un « motif d’entrailles ». J’étais assez intriguée par ce motif, ayant vécu dans un cadre plus rural, et mon père est chasseur, et c’est son grand-père (mon arrière-grand-père) qui lui a enseigné l’art de la chasse. Et l’importance de la réciprocité de cette relation lorsque vous récoltez du gibier : même les entrailles (les viscères) sont utilisées et recyclées par les asticots qui se repaissent de la carcasse. Et puis nous prenons cette viande et nous survivons avec nos familles pendant l’hiver. Cette archive a donc piqué mon intérêt et en particulier la provocation que représente ce motif d’entrailles et l’idée d’intuition : l’idée de consulter des archives de manière intuitive, ce qui est un peu le contraire d’une approche historique! Mais c’est l’approche que j’ai utilisée à plusieurs reprises aussi bien dans mon travail de conservation que de recherche et plus particulièrement en ce qui concerne les éléments autochtones. Je me rends compte que, comme dit l’un de mes amis, j’en parle comme d’une intuition, mais lui dit : « ce sont tes ancêtres qui te parlent. » Donc, je reconnais aussi que cela implique un processus, les choses ne sont pas clairement définies et c’est en quelque sorte une façon intuitive d’aborder le sujet. Donc, cette idée d’entrailles, de viscères, d’intestins en rapport avec l’idée d’instinct, est pour moi un parallèle. J’ai donc travaillé sur l’image de l’un des paniers, celui auquel Livingston Farrand faisait référence quand il parlait de motif d’entrailles, et je l’ai reproduit dans l’œuvre présentée dans l’exposition. J’ai également utilisé beaucoup de couleurs chaudes et pop pour montrer la façon dont la culture matérielle autochtone (l’œuvre d’art ancestrale) se retrouve en grande partie dans les collections des musées et est essentiellement considérée sous l’angle ethnographique ou anthropologique, alors que j’essaie de la voir sous l’angle esthétique : « quel est le langage visuel ici? » Et pour moi, nos revendications territoriales font intrinsèquement partie de cette idée de récolte issue de la terre, et notre intuition est une sorte de lien avec nos terres et nos ancêtres. Tout cela est en quelque sorte impliqué et contenu dans ce panier en racines de cèdre, qui est présenté sous forme de colonnes dans l’œuvre d’art.
J’ai également pensé à ce panier en racines de cèdre et j’ai voulu le rendre plus grand que nature. Mon instinct me dit qu’il contient tellement de choses, non seulement de la nourriture, ou de l’huile de poisson, ou des ressources culturelles, mais aussi des connaissances, la connaissance de la terre : quand récolter le matériau, comment le préparer puis le tisser, comment préparer le matériau pour créer le motif et certains éléments du motif à l’extérieur. Et ensuite, toutes ces connaissances itératives qui suivent la récolte pour le remplir avec toutes les choses qui constituent notre foyer, notre relation à la terre, tout ce qui est notre santé et notre bien-être, en un mot tout ce qui nous nourrit. Je pense que ce panier répertorié par Livingston Farrand dans ce texte anthropologique et sa photographie dans le musée est vraiment un univers, un univers de connaissances qui est implicite dans cet objet, dans ce panier, et qui représente à bien des égards, un univers de possibilités esthétiques.
Je considère tout cela dans mon travail artistique parce que je m’intéresse et je pense au rattachement à la terre. Et je ne peux pas penser à la terre sans ce concept de Kweselktnéws, qui pour beaucoup de peuples autochtones signifie « toutes nos relations. » Il s’agit littéralement d’un système familial, connecté et basé sur la gouvernance, qui reconnaît la valeur et l’existence inhérentes d’autres types de créatures que les êtres humains. Donc, si vous commencez à réfléchir à des projets comme le gazoduc TMX, que le Canada a acheté et qui traverse une majorité de nos territoires secwépemc, si vous le considérez sous l’angle de notre interconnexion, qui apprécie et admire la valeur des ressources de saumon sauvage, un héritage incroyable, une espèce incroyable qui affecte beaucoup d’entre nous de si nombreuses façons, ces propositions de forer sous les rivières et le potentiel d’un déversement accidentel : cela n’a aucun sens. Cela va à l’encontre de toutes les façons dont nous essayons de promouvoir l’abondance. Vous savez, nous les humains, nous voulons profiter de l’abondance sur la terre, mais c’est une abondance avec la terre qui permet à d’autres espèces d’y accéder, d’en profiter et de se nourrir. Ce n’est qu’en adoptant cette optique que nous pouvons commencer à corriger les urgences et les situations critiques dans lesquelles nous nous trouvons.
Le futurisme autochtone est une façon vraiment importante de réagir face à l’extinction autochtone telle qu’elle s’exprime dans les politiques canadiennes. Le régime de la Loi sur les Indiens vise à anéantir toute revendication d’indigénéité. Le système des réserves indiennes est basé sur l’anéantissement de toute nouvelle revendication territoriale. Et la futurité est un refus de ces choses, c’est refuser de nous considérer comme la culture en voie de disparition qui a été introduite dans l’imagination populaire. Nous ne disparaissons pas : notre croissance démographique est la plus élevée du Canada. Et je pense que les artistes ont un rôle à jouer pour envisager l’avenir. Je pense donc que le futurisme autochtone n’est pas une tendance : il fait partie d’un continuum de ce que nos ancêtres ont exprimé. Mes arrière-arrière-grands-parents voulaient que je sois ici aujourd’hui, n’est-ce pas? Du côté de la famille de mon père, mes arrière-grands-parents Isaac et Adeline Willard, et la sœur d’Adeline, Aimee August, ont fait des efforts considérables pour préserver notre langue secwépemc. Et ils ne l’ont pas fait pour eux-mêmes ni pour les anthropologues (bien qu’ils aient parfois été payés, ce qui est important quand on vit dans une extrême pauvreté au Canada), ils l’ont fait pour leurs arrière-arrière-petits-enfants. Ce futurisme autochtone est présent en nous depuis toujours et est une forme de résistance contre la façon dont les politiques coloniales ont tenté de nous effacer, de nous anéantir et de nous éliminer. Ils n’y sont pas parvenus, ils ont échoué, et notre esprit est fort aujourd’hui et le restera demain.
Le panier en cèdre, bien qu’il s’agisse d’une forme « traditionnelle », était à l’époque innovante et l’est encore pour chaque personne qui en fabrique aujourd’hui. Par exemple, il y a une artiste secwépemc, Dolores Purdaby, qui continue à faire de beaux paniers en racines de cèdre et j’ai eu l’occasion d’apprendre d’elle pour les paniers en écorce de bouleau, et un peu pour les paniers en racines de cèdre. Et je veux affirmer que c’est aussi une sorte de futurité de penser à ce matériau tiré de nos terres. Je ne veux pas imaginer un avenir dystopique ! Je ne veux pas accorder plus de temps, d’énergie et d’intention à cette vision. Ma vision est que nous avons encore des ressources naturelles, que nous pouvons intégrer de manière très esthétique des matériaux provenant de la terre et des matériaux de la société contemporaine. Feu Arthur Manuel a beaucoup écrit sur la pauvreté des peuples autochtones au Canada et sur la façon dont celle-ci peut être liée au fait que nous ne contrôlons que 0,2 % de nos terres, qui ont été mises de côté pour les réserves indiennes, au Canada. Ainsi, la futurité de Gut Instincts est de continuer à rester sur place, à faire partie de mes terres, et de l’enseigner à mes enfants. Et de savoir que ces œuvres d’art – ces connaissances de nos ancêtres qui s’expriment dans un objet tel que le panier de racines de cèdre – font également partie de l’avenir. Et elles le tissent : ce panier tisse le passé, le présent et l’avenir en un futur chatoyant, scintillant, que je ne peux pas voir aujourd’hui, mais que mes petits-enfants ou mes arrière-petits-enfants pourront peut-être voir, et pour eux, je veux lui donner des couleurs chatoyantes!