Elizabeth Zvonar

(ci- dessus) Elizabeth Zvonar, Visionary Feminist, after Jill Soloway and bell hooks (Féministe visionnaire, d’après Jill Soloway et Bell Hooks), 2017, impression numérique d’un collage découpé à la main, 48,25 x 63,5 cm.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Daniel Faria Gallery.

droite) Elizabeth Zvonar, Storyteller (Conteuse), 2018, Impression numérique d’un collage découpé à la main, 58,5 x 68,5.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Daniel Faria Gallery.

(ci- dessus/la gauche) Elizabeth Zvonar, Root Chakra (Chakra de la base), 2014, impression numérique d’un collage découpé à la main, 40,5 x 51 cm.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Daniel Faria Gallery.

(ci- dessus/droite) Elizabeth Zvonar, Metaphysical (métaphysique), 2014, impression numérique d’un collage découpé à la main, 51 x 61 cm.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Daniel Faria Gallery.

droite) Elizabeth ZvonarThe Universe Is Mental (Lunivers est fou), 2014, impression numérique dun collage découpé à la main, 40,5 x 51cm.
Avec l
aimable autorisation de lartiste et de la galerie Daniel Faria Gallery. 

Le collage joue un rôle important dans la pratique artistique d’Elizabeth Zvonar. Elle s’approprie des images tirées du domaine public, par exemple de magazines et de manuels scientifiques, elle les décontextualise et les redéfinit en créant de nouvelles associations qui, souvent, détruisent l’intention de départ. Dans les travaux réunis ici, les photographies de l’espace lointain sont superposées avec des éléments humains, animaux et mécaniques, créant ainsi des images qui rappellent des personnages et des environnements de science-fiction. Avec leurs connotations immédiates d’immensité et d’inconnu, les images de l’espace lointain offrent une représentation intrigante de ce que la philosophe Rosi Braidotti appelle la « dimension extérieure, qui enveloppe en fait le sujet comme une partition internalisée de vibrations cosmiquesi. » [1] Le double sens du titre d’une des œuvres de Zvonar, The Universe Is Mental (2014), fait allusion avec humour à l’expérience de cette dimension extérieure : insondablement complexe et pourtant comprise par des cerveaux faits de la même matière que le reste, l’univers est à la fois intime et étranger.

La multitude d’yeux qui composent The Universe Is Mental offre un modèle de subjectivité qui est multidimensionnel, partiel, fragmenté, hétérogène et incomplet. Visionary Feminist, after Jill Soloway and bell hooks (2018) projette cette idée dans l’avenir. Le visage du modèle est remplacé par un bijou rouge scintillant et ses yeux sont protégés par des lunettes de soleil enveloppantes de haute couture.

La pierre précieuse en forme d’amande évoque à la fois un œil et une vulve et amène l’idée de « vision féministe » à un niveau presque comique. Combinant une forme humaine et la technologie incarnée par une visière faite de pierres précieuses, l’œuvre parodie également la façon dont les cyborgs féminins sont souvent représentés dans la science-fiction classique comme des « modèles de plaisir » raffinés et sexualisésii. Pourtant, ce portrait d’une féministe visionnaire évoque aussi le pouvoir. Elle est visionnaire non pas dans le sens optique, mais plutôt dans le sens d’être en avance sur son temps, de désirer et de faire naître une réalité qui n’existe pas encore pleinement. Comme le note l’historienne de l’art Jennifer González, « Lorsque le modèle ontologique actuel de l’être humain ne correspond pas à un nouveau paradigme, il est nécessaire de trouver un modèle hybride d’existence pour englober une nouvelle expérience vécue, complexe et contradictoireiii. » [2]

Le titre de Visionary Feminist fait allusion à deux de ces penseurs visionnaires, des personnes qui, pour Zvonar, ont ouvert la voie à de nouveaux futurs à travers les actes d’écriture et de création artistique spéculatifs. Storyteller (2018) poursuit cette idée, en montrant un hybride homme-animal effectuant un rituel avec des cuillères à café. La chouette, qui perce l’obscurité, est depuis longtemps un symbole de sagesse et de connaissance. S’agit-il d’un oracle qui scrute l’avenir, ou simplement d’un ami aviaire qui prépare un breuvage convivial avant nous raconter une histoire? [3]

Interview
Je m’appelle Elizabeth Zvonar. J’ai grandi à Thunder Bay, au milieu de l’Ontario, dans la région Nord-Ouest de l’Ontario. Je suis venue vivre à Vancouver à l’adolescence et je n’en suis pratiquement jamais partie. Ma pratique artistique intègre à la fois le collage et la sculpture. Je m’intéresse à la métaphysique et à la façon dont elle pourrait ou non se manifester dans la réalité présente, et j’explore ces idées à travers certains de mes travaux. Je m’intéresse aussi beaucoup à l’histoire de l’art, et à la trajectoire que l’histoire de l’art occidental en particulier nous a tracée, et j’interviens dans cette histoire avec une perspective différente, une perspective féministe. Je travaille actuellement sur un nouveau corpus de collages. J’utilise un magazine des années 70, le Scientific American, et j’essaie d’utiliser ce texte d’une autre époque et de lui donner un second souffle qui correspond mieux à la pensée contemporaine.

Dans Shimmering Horizons je présente cinq œuvres. Trois d’entre elles ont été réalisées en 2014 et sont issues de la même série. Elles jouent avec cette idée de métaphysique, le mystère de ce qu’elle est et de ce qu’elle pourrait être.

Je suis donc née en 1972. J’ai beaucoup réfléchi à la raison pour laquelle je m’intéresse à l’imagerie des années 70. Et je pense que cela a à voir avec la nostalgie et le simple fait d’être née à cette époque. Il y a quelque chose dans cette imagerie baignée par le soleil qui vient de ce moment avec lequel je m’identifie, probablement l’enfance ou quelque chose comme ça. Je suis fascinée par l’espace. Quand j’étais enfant, j’étais vraiment intéressée par les vaisseaux spatiaux qui allaient dans l’espace : la NASA, par exemple, qui a envoyé la sonde Voyager dans l’espace et dans laquelle elle avait placé une capsule temporelle. Vous saviez que des capsules temporelles avaient été envoyées dans l’espace en 1977? Un groupe de scientifiques, dirigé par Carl Sagan, a préparé une capsule temporelle de la planète Terre sur une période de quatre ans, qui couvrait tous les aspects imaginables de ce qui se passe ici sur Terre, et qui présente la diversité de notre planète, afin que cette capsule puisse, à un moment donné, être trouvée par quelqu’un ou une entité quelconque. C’est l’un des événements qui a éveillé mon intérêt pour l’espace. Puis, la découverte de temps à autre de belles images du télescope [spatial] Hubble, ce genre de choses. Je les trouve à la fois magnifiques et très bizarres et fascinantes à la fois. C’est pourquoi j’aime bien les utiliser aussi dans mon travail. Je trouve qu’elles résument en quelque sorte le mystère de l’univers.

Je m’en remets souvent au hasard pour faire ce que je fais et mes choix sont enrichis ou limités par ce que je trouve comme images dans les magazines ou dans les livres que je parcours. À bien des égards, le collage est un peu comme un jeu parce qu’on ne sait pas nécessairement quelle sera l’image finale, ou toutes les options que l’on a avant de tout passer en revue. C’est donc un peu comme un jeu de mémoire ou de hasard, mais ce n’est jamais ennuyeux ; on a toujours la possibilité de réfléchir à la façon dont les choses s’associent entre elles. Par exemple, je passe beaucoup de temps à regarder les choses et à essayer de comprendre les liens qui les unissent. Je m’intéresse surtout à l’imagerie de la culture populaire et aux choses qui sont très présentes dans la culture pop, et je les prends et je joue avec. C’est là qu’intervient cette familiarité, lorsque nous sommes inondés par tant d’images que nous y devenons insensibles. Donc, je sélectionne des images individuelles, je les dispose d’une certaine façon, puis j’agrandis. L’agrandissement est très important pour rendre les parties obscures beaucoup plus nettes.

Les titres sont vraiment importants dans mon processus de création artistique. J’ai le sentiment qu’ils conceptualisent l’œuvre et qu’une image ou une sculpture n’est pas vraiment complète tant qu’elle n’a pas de titre. Cela crée la situation (bien que tout le monde ne cherche pas les titres dans une galerie). J’ai l’impression qu’un titre peut apporter un peu plus d’informations et permet au spectateur d’entrer dans ma réflexion. L’humour est vraiment important, et le jeu aussi. Et les jeux de mots! Ils sont très importants et on les remarque surtout dans le titre, en général.

Donc, l’exposition de 2014 dont trois œuvres sont utilisées pour Shimmering Horizons est issue de cette exposition : Je crois vraiment que la meilleure chose qu’une personne puisse faire c’est de s’élargir l’esprit. Cela va de soi, mais j’y crois fermement. Mais qu’est-ce que cela veut vraiment dire? Euh...réfléchir au fait d’être un être humain ici aujourd’hui. C’est vraiment bizarre d’être en vie! C’est un état très étrange, quand on y réfléchit un peu. Puis, si vous y parvenez, si vous réussissez à vous élargir l’esprit, ne pas trop vous laisser submerger par l’ampleur, la beauté et la difficulté de ce que signifie être vivant. Et l’étudier en tant que personne, comme quelqu’un qui se trouve ici par hasard. Prenez mon exemple. Oui, c’est vraiment un état bizarre. Il y a beaucoup de choses qui n’ont pas de sens si l’on pense à la façon dont nous sommes arrivés sur terre et la raison de notre présence. Puis vous ajoutez à cela tout ce que nous fabriquons pour l’utiliser et nous guider pour construire une vie qui a un sens, et cela inclut des choses comme l’utilisation de la culture populaire, le fait de la suivre et les réseaux sociaux et tout le reste. Tout cela est totalement dénué de sens! Et le capital, l’argent, l’économie et toutes ces choses. Tout est inventé, mais nous les suivons afin d’avoir une structure. Et puis il y a les hiérarchies qui en résultent et c’est assez déséquilibré. Donc oui, rien de tout cela n’a vraiment de sens!